Un article de Philippe … rédigé suite à sa visite de la grotte originale le 23 février 2010.
Participants : Philippe G., Franck S., Jean-François L.
Dans le silence de la nuit, nos faisceaux de lumière révèlent et réveillent des scènes de la vie animale d’un autre temps … ce que pouvait être la faune de cette période mini-glaciaire se dévoile au rythme lent de nos pas, à nos yeux ébahis. D’une fraîcheur déroutante, les gravures et les peintures, parmi les plus vieilles du monde, ici représentées, sont d’une qualité et d’un raffinement dramatique et visuel qui les situe au niveau des plus belles œuvres de l’espèce humaine.
Dans cette grotte, une atmosphère toute particulière nous invite dans un voyage dans le temps ; tels des intra-terrestres, nous entrons en contact avec ce peuple aurignacien qui ont laissé – il y a 36 000 ans – un livre ouvert à travers leurs créations artistiques. Le minéral ajoute sa touche d’artiste aux multiples fresques animales qui ornent les parois. Un sanctuaire qui aurait pu rester à jamais oublié des hommes.
Les portes du temps
Gorges de l’Ardèche, Vallon Pont d’Arc, le 23 février 2010. Dominique BAFFIER, conservatrice de la Grotte Chauvet, et deux guides, nous accueillent à quelques centaines de mètres du majestueux Pont d’Arc. Cette opportunité d’être retenus pour l’une des rares visites accordées nous réjouit, Jean-François, Franck et moi-même. Autant dire que la nuit précédent ce rendez-vous fût agitée et ponctuée de nombreux réveils. Pour rien au monde, il ne fallait manquer ce rendez-vous avec la préhistoire !
En grimpant le long de l’ancien coude à flanc de falaise par une rampe naturelle, nous prenons la mesure de ce site remarquable. Le Pont d’Arc est à lui seul une merveille de paysage calcaire ; les eaux de l’Ardèche s’engouffrent sous l’énorme arche. Daniel André, spéléologue-historien a mis en évidence un profil de mammouth totémique. Nous le savons, l’homme préhistorique vivait dans les gorges de l’Ardèche.
C’est à mi-hauteur que s’ouvrait le porche de la caverne comblée suite à un effondrement de la falaise il y a 21 000 ans. Plusieurs milliers d’années avant, des animaux sauvages et des hommes sont venus dans cette grotte ; des êtres humains qui s’y sont enfoncés profondément avec des torches et y ont laissé une grande quantité de représentations pariétales : signes et mains négatives, et surtout les gravures et dessins de toute une faune depuis disparue d’Europe.
En décembre 1994, une équipe de spéléologues explorait une petite grotte située au-dessus du porche effondré. Son exploration leur permit de franchir une chatière sévère et d’arriver au sommet d’un puits. Une vingtaine de mètres plus bas, ils mirent pied dans une caverne concrétionnée de belles dimensions. Ils décidèrent de baliser leur cheminement, vu l’état du sol impeccable. Ils trouvèrent d’abord des bauges, des pistes, des griffades et des crânes d’ours. Les spéléologues sont enthousiasmés par leur découverte paléontologique. En file indienne, ils s’enfoncèrent plus profondément dans la grotte, et ils ne furent pas au bout de leurs surprises !
Un aménagement à la hauteur de la découverte
La grotte Chauvet est fermée par une porte blindée et son ouverture est vocalement autorisée à distance par la gendarmerie, qui surveille le site grâce à de nombreuses caméras. Toute une batterie d’appareils de mesure a été installée dans une petite grotte secondaire qui sert aussi à stocker le matériel spéléologique. Un sas permet d’éviter les échanges d’air et l’introduction de bactéries. Des chaussures aseptisées sont à notre disposition. En combinaison, coiffé d’un casque à éclairage électrique, notre baudrier ajusté, nous franchissons une seconde porte ; nous empruntons l’étroite galerie et le puits de la découverte, sécurisés par une vire et une échelle.
Tout le parcours est équipé de 470 m de passerelles métalliques en inox « flottantes ». Par endroits, le cheminement est éclairé de repères lumineux. La visite se fait à la lueur de nos frontales et avec un phare. La Salle du crâne a été équipée d’un éclairage temporaire plus sophistiqué qui met remarquablement en valeur les fresques, à tel point que notre regard a beaucoup de mal à s’arracher d’une pareille merveille.
Un singulier face â face avec l’espace et le temps
Nous franchissons le petit corridor à la base du puits en longeant la paroi de droite. Nous marchons prudemment sur les passerelles que nous ne quitterons plus durant toute la visite. Nous parvenons rapidement au cœur de la grande salle qui était l’entrée d’origine de la grotte avant son effondrement. C’est grâce à ce comblement providentiel que la cavité a pu garder toutes ses richesses intactes.
Les dimensions de la caverne sont assez importantes, jusqu’à 12-15 mètres de largeur, 6-8 mètres de hauteur et un développement total de 490 mètres. Son profil et sa voûte font penser à un ancien régime noyé de la cavité (corrosion chimique). Elle est bien active, comme en témoignent les nombreuses concrétions, stalactites, stalagmites, draperies et les très belles fistuleuses qui l’ornent de part et d’autre.
On peut admirer de beaux massifs concrétionnés, de belles coulées de calcite, de nombreux gours cristallisés ; un magnifique cierge monocristal de calcite blanche légèrement translucide se détache de l’obscurité. Le sol est presque entièrement calcité et des cristaux jaillissent de micro-gours.
Des ossements d’animaux calcités, de nombreux crânes d’ours jonchent un peu partout le sol. On s’attarde sur un crâne de bouquetin calcité encore pourvu de ses cornes élancées. Les pistes d’ours sont les témoins discrets d’une occupation de grande fréquence et sur une longue période. Les ours suivent généralement les bords des galeries quand ils se déplacent dans la pénombre. Mais l’un d’entre eux s’est risqué vers le milieu de la grotte sur un sol argileux. Trente mille ans plus tard, on retrouve la piste de cet ours téméraire : c’est la plus longue piste d’ours fossilisée du monde très visible sur plus de 30 m !
On trouve les peintures sur la plupart des parois à hauteur d’homme. Les salles plus proches de l’entrée présentent des peintures réalisées avec des pigments d’ocre rouge, plus rarement en ocre jaune : points, mains négatives et positives, formes animales, bisons, rhinocéros, mammouths, signes … Quand on quitte les premières salles, les parois ont un beige plus marqué ; elles sont recouvertes d’une couche sombre ; les artistes vont dans cette partie s’exprimer par des gravures réalisées au doigt. Elles sont d’une étonnante fraîcheur ! Quand on arrive dans les salles de la seconde partie, les parois ont été grattées, puis, nombreuses ont été dessinées au charbon de bois ; les productions sont d’une grande finesse.
Dans la Salle des bauges à ours se trouve un tableau réalisé à l’ocre rouge dans lequel on identifie des bouquetins, bisons, rhinocéros et mammouths ; des mains négatives et positives, une multitude de signes pas faciles à identifier par un non-spécialiste nous interpellent … Premières émotions ! C’est en suivant une galerie secondaire que l’on trouve d’autres dessins particulièrement réussis : un petit ours rouge et une panthère ornent la grotte. Le sentiment de pouvoir apprécier quelque chose d’exceptionnel nous gagne peu à peu.
De retour dans la galerie principale, nous nous enfonçons plus profondément à travers le karst. Dans une seconde salle marquée par un soutirage, nous laissons une piste d’ours bien visible pour trouver à gauche des gravures d’une fraicheur inouïe malgré les millénaires qui se sont écoulés depuis leur réalisation : mammouths, chevaux, et même un hibou ont été dessinés au doigt … superbe ! Les représentations animales sont dessinées en un seul trait, il n’y a aucune reprise et pourtant, ils sont d’une grande précision !