Sortie du 21 Octobre 2018, avec les spéléos de Normandie et du CDS 75 dans les carrières de craie de Caumont, près de Rouen, et dans la cavité naturelle de la Jaqueline.
Raconté par Mathilde Ressier.
C’était un dimanche brumeux et froid, de ceux qu’on aime laisser passer douillettement depuis le fond de son lit. Emmitouflés dans nos vestes, sac sur le dos, mains au fond des poches, Florian et moi attendions, postés au bord de la route à côté d’une station essence près de Porte d’Orléans. Qu’il était étrange de se retrouver là si tôt un matin, habillés tels les cataphiles que nous sommes souvent, mais ne descendant point par un puit. Nous abordions une nouvelle étape dans notre passion pour les endroits sombres, humides, et reculés de tout.
Une voiture approcha, avec elle le début de notre périple. Nous rencontrâmes Louis, président du Spéléo Club de Paris, explorateur des entrailles de la terre depuis plus de 20 ans. Il fut rapidement rejoint par Jean Paul, un jeune comme nous n’ayant encore jamais pratiqué la spéléo. Nous prîmes la route sans tarder, le chemin serait long. Il était tout juste 8 heures du matin.
Notre initiation s’effectuerait en compagnie de spéléologues confirmés, dont Louis ainsi qu’un dénommé Luc, connaisseur de la région. Il serait notre guide pour cette aventure.
Nous arrivâmes à Caumont, près de Rouen, vers 11h. Un épais brouillard baignait le paysage d’un gris morose et d’un froid crispant. Mes orteils étaient tout gelés au fond de mes bottes. Nous nous parâmes de nos casques et de vêtements ne craignant pas la saleté. Thomas, un autre spéléologue aguerri, ayant travaillé la veille au déblayage d’une entrée, avait son bleu de travail déjà tout crotté de la tête aux pieds. Après quelques conseils et explications préliminaires, nous prîmes le chemin des carrières de craie de Caumont, point de départ de notre balade atypique. La spéléo, la vraie, commencerait là bas.
Les carrières, c’est un peu notre deuxième maison. Et pourtant, celles-ci nous subjugèrent de part leur immensité. Le ciel s’élevait plusieurs mètres au dessus de nos têtes et les piliers le soutenant était colossaux. Malgré la taille impressionnante de la bouche de cavage et le flot de lumière qu’elle déversait, au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les entrailles de la terre, l’obscurité nous engloutit tout entier.
Seuls nos pas résonnaient dans cette immense caverne. Sous nos chaussures, des milliers de cailloux plus ou moins gros s’entrechoquaient, menaçant de nous faire trébucher. La plupart d’entre eux venaient de l’effritement naturel de la roche, et des traces du passage des saisons sur la craie. L’eau s’infiltre dans la roche et, lorsqu’il gèle, elle explose, répandant au sol une pluie de cailloux, très dangereuse pour qui s’aventurerait par hasard là dessous au mauvais moment. C’est d’ailleurs pour cette raison que ces carrières sont fermées à tous. Tous, sauf aux spéléologues, jugés apte à évaluer la dangerosité d’une cavité.
Bien heureusement, nous n’étions pas en période de gel. Grand bien nous fasses car il faisait déjà assez froid. Telle de la neige figée hors du temps, les stalactites et autres fistuleuses couvraient le ciel de carrière de leurs concrétions blanches. Les flaques d’eau semblaient couvertes d’une couche de givre ; il s’agissait en réalité d’un délicat dépôt de calcite en formation. Certaines zones particulièrement fragiles étaient grossièrement balisées avec des bandes de plastiques rouges et blanches de telle sorte que nous repérions à plusieurs mètres les endroits où il ne fallait pas marcher. Pas très joli mais efficace.
Nous avancions de cette façon: nous les touristes, aussi appelés “les porteurs de kit”, devant, suivis de Louis et Luc et, fermant la marche, Thomas, ainsi que Spelaion et Spelaionne. Nous étions nombreux et pourtant no faisceaux de lumières faisaient pâle figure face à l’immensité de la caverne. Nous nous enfoncions chaque pas un peu plus profondément dans les souterrains à la recherche de curiosités.
Notre premier contact avec la puissance tranquille de la nature se fit dans le renfoncement d’un mur. Un boyau sombre et humide s’enfonçait dans une obscurité inhospitalière. La rivière des robots, la nomma Luc. Je repensais à un film vu récemment et traitant d’exploratrices égarées dans un souterrain du même genre se faisant attaquer par des monstres aveugles jaillissant de recoins tout à fait semblable à celui-ci. Un frisson me parcouru. Heureusement nous n’eûmes pas le loisir de nous attarder, notre guide désirant faire le tour le plus exhaustif possible, et nous reprîmes la route de bon train, trottinant gaiement dans les carrières.
Après cette petite démonstration de l’agilité de la nature à se frayer des chemins improbables au coeur de la terre, nous assistâmes à la démonstration brute et grossière de l’homme envahissant ses propres cavités à coup de dalles de béton. Un bunker allemand se dressait devant nous, si haut qu’il frôlait le ciel. Nous nous faufilâmes tels des souris dans cette oeuvre inachevée de la 2eme GM. Il était difficile de deviner à quoi auraient bien pu servir une telle construction. En réalité, elle aurait permis de créer et stocker du carburant pour les missiles V1.
Ce petit tour sportif nous avait creusé l’appétit. Nous prîmes notre déjeuner dans l’entrée d’une bouche de cavage, sous un petit rayon de soleil. Un véritable luxe pour des spéléologues.
Le groupe se scinda ensuite en deux pour laisser le choix aux membres de continuer de se promener, ou d’aller se contorsionner dans des trous impraticables. Comme toute personne saine d’esprit, Florian, Jean Paul et moi choisîmes l’option du contorsionnisme. Commença alors l’aventure, la vraie.
Après avoir escaladé des montagnes de craie explosée, nous atteignîmes un trou. Il nous mènerait à la Jacqueline, un petit réseau de galeries naturelles tout à fait charmant. Je serais bien en peine de vous décrire exactement le chemin que nous suivîmes alors et toutes les étroitures dans lesquelles nous nous engouffrâmes joyeusement, les pieds ou la tête devant, sur le ventre, sur le dos, sur les fesses. Cependant je puis vous assurer que le simple ouvrage de l’eau sur la roche à travers les années était remarquable. De magnifiques cloches creusaient le plafond en des motifs complexes, beaux et hypnotisants. Nos lampes peinaient parfois à en distinguer le fond. Les parois formaient par endroit de complexes enchevêtrements de trous, comme une ruche géante, qui avaient dû être creusés par une eau tumultueuse. Nous passions au sec, les doigts caressant doucement ces anfractuosités, contemplant ce spectacle immobile, figé, étonnant. Ce chemin que nous empruntions n’était pas creusé pour nous. Comme souvent sous terre, je me demandais “Mais qu’est ce que je fous la ?”. Cependant, je ne boudais pas mon plaisir.
Outre les cloches, facilement visible, les trous étaient également impressionnants. L’appel du noir se faisait ressentir lorsque, guidant le petit groupe à travers un des innombrables boyaux, notre chemin dérivait vers une cavité un peu plus basse, un peu plus sombre… “Pas par là !” se fait-on reprendre. Il y avait tant à explorer, il ne fallait pas se perdre la première fois. Nous continuâmes sagement notre route, rampant tantôt à quatre pattes et tantôt à plat ventre.
J’en ai déjà parlé mais les concrétions offraient également de beaux spectacles. Dans une galerie basses, quelques stalactites étaient si longues qu’elles se rejoignaient leurs consoeurs stalagmites pour former des monolithes. Dans les salles, les fistuleuses pendaient du plafond comme autant de dents cherchant à croquer l’explorateur inattentif. Au détail près que l’explorateur avait bien plus de chance d’abimer la fistuleuse que de se faire abimer par elle…
Le long des parois et dans les cloches se coulaient de langoureuses concrétions, aux formes rebondies, lissées et creusées encore et toujours par le passage de l’eau et du temps. Ces boyaux portaient bien leur nom, on se serait cru à l’intérieur d’un monstre géant, prêt à nous digérer.
Le point d’orgue de la visite fut atteint au bord d’un petit lac souterrain, au fond du fond des galeries. Davantage flaque que lac, cela n’enlevait rien à la pureté de son eau. On voyait sans peine le fond. A la lueur de nos frontales, il apparaissait bleu azur et sa couleur se dégradait jusqu’à un bleu profond. On pouvait voir les reflets de l’eau ondoyer sur les parois de la caverne. Le spectacle était délicat et surprenant.
Cette pause courte mais calme nous revigora. A force de crapahuter, tout le monde avait plus ou moins chaud, car contrairement à ce que l’on imagine, il fait toujours doux sous terre. Après quelques minutes de repos et une gorgée d’eau, nous reprîmes le chemin en sens inverse. Loin d’être ennuyant, il n’est jamais inutile de refaire le chemin dans l’autre sens car de nouvelles choses apparaissent, les points de repères se confondent, et sans un oeil attentif il est facile de se tromper et de tourner en rond, ce qui ne manqua pas de nous arriver, en temps que petits débutants. Heureusement notre guide était là pour veiller au grain et ne nous laissa pas perdu longtemps, juste assez pour nous apprendre la leçon.
Je serais bien incapable de dire combien de temps nous avons passé sous terre ce jour-là. Le temps semble suspendre son vol là-dessous, il peut s’écouler dix minutes comme une heure, suivant le terrain et les difficultés. Nous nous sentions totalement isolé du monde extérieur, affranchis des règles de la surface, observateurs privilégiés du monde souterrain et de ses merveilles.
En sortant nous n’avions qu’une hâte: découvrir les prochaines merveilles cachées sous nos pieds…
INITIATION DANS LES CARRIÈRES DE CAUMONT
Rédacteur: Mathilde RESSIER – contact
Relecture: Florian MEVREL, Daniel TEYSSIER
Photos: Florian MEVREL
Merci à Luc du club de spéléo de Normandie pour la balade, Louis RENOUARD pour l’organisation, Thomas LECOQ pour l’encadrement, sans oublier Jasmine et Daniel TEYSSIER, et Jean Paul.
Ce compte rendu a été diffusé dans le Spéléo IDF numéro 81 de 2019.